ARRÊT SUR IMAGE: “L’EXEMPLE ISLANDAIS EST CAPITAL POUR LES PAYS EUROPÉENS ENDETTÉS”.
Révolution économique et politique dans l’île ?
Débat sur “Arrêt sur Image”. Voir la video intégrale en cliquant ici.
Résumé :
Comment un pays se retrouve-t-il en faillite ? C’est la question que se posent les observateurs en regardant l’Islande, qui, en octobre 2008 s’est retrouvée quasiment du jour en lendemain sans “argent frais”. La réponse, explique Guillaume Duval, est à chercher dans “la taille totalement démesurée du système financier” de l’époque : ce pays de 320 000 habitants, avait contracté “une dette vis-à-vis de l’extérieur équivalant à six fois le PIB”, notamment parce que les banques islandaises avaient proposé aux épargnants néerlandais et britanniques de déposer leur argent chez elles. Résultat, le pays a été l’un des premiers à être mal jugé par les marchés financiers quand la crise financière a frappé, et n’a plus eu les moyens d’emprunter de l’argent. Les banques ont fait faillite, l’Etat islandais ne les a pas sauvées, en leur laissant leurs pertes et en se contentant de garantir à ses citoyens qu’ils ne perdraient pas leur épargne. La Bourse et la monnaie ont ensuite lourdement chuté.
Alain Lipietz partage le constat, mais tient à préciser, “en tant que responsable au Parlement européen des affaires de régulation financière” que, vu le niveau de leur activité à l’étranger, ces “banques islandaises” pouvaient aussi bien être qualifiées de “banques européennes qui avaient leur siège social en Islande de façon à échapper peu ou prou à la régulation européenne.” En effet, étant seulement membre de l’espace Schengen en non membre de l’Union, le pays était, de fait, moins surveillé dans ses activités bancaires. (acte 2)
Pour savoir si l’Islande mène une révolution, encore faut-il savoir ce qu’est une révolution. Pour éclairer le débat à sa manière, Anne-Sophie s’est assigné la lourde tâche d’en dévoiler l’origine étymologique. Ce qu’il s’est passé début 2009 dans les rues de Reykjavik ne correspond peut-être pas exactement à sa définition, mais les Islandais eux-mêmes l’ont nommé “révolution des casseroles” : chaque samedi, durant des semaines, ils ont manifesté avec tous les instruments bruyants à portée, contre les dirigeants économiques et politiques qui les avaient menés dans l’impasse. Obtenant, ce n’est pas rien, la démission du gouvernement de centre-droit fin janvier, et l’élection des sociaux-démocrates et des Verts en avril 2009. Michel Sallé tempère néanmoins la belle image du peuple de gauche qui se soulève : “Ceux qui habitent Reykjavik sont des bourgeois, explique-t-il, et ils ne pouvaient plus payer les prêts pour leur maison et leur voiture. C’est pour cela qu’ils ont manifesté.” Et aussi “parce que le samedi, de toute façon, il n’y a pas grand-chose à faire d’autre” !
Et qu’en est-il, alors, des citoyens qui ont obtenu de se prononcer par référendum sur la question très délicate de l’accord Icesave ? De quoi s’agit-il ? D’une loi stipulant que l’Islande s’engageait à rembourser plusieurs milliards d’euros à la Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, au taux très élevé de 5,5%. Car lorsque les banques islandaises ont fait faillite, le gouvernement n’a pas remboursé les 400 000 épargnants anglais et néerlandais qui détenaient des comptes dans ces banques, et notamment dans une de leur filiale internet, Icesave. Ce sont donc la Grande-Bretagne et la Hollande qui ont mis la main à la poche… avant d’envoyer la note aux Islandais ! Et ce, de façon totalement illégale, soutient Lipietz. Finalement, en mars 2010, le pays rejette à 93 % l’accord. Certes, mais, remarquent en chœur nos invités, cela n’a été possible que parce que le président de la République, sans en avertir personne, avait d’abord refusé de promulguer la loi Icesave. Pourquoi ? La raison n’est pas claire, et Sallé et Lipietz débattent de savoir si le Président est de droite ou de gauche… (acte 3)
Aujourd’hui, un nouvel accord est en passe d’être trouvé entre l’Islande, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne. Les termes en sont plus acceptables : le taux d’intérêt est descendu à 3,1 %, et, amélioration économique mondiale aidant, les actifs d’Icesave valent plus qu’il y a deux ans et leur vente devrait éponger une bonne partie des dettes. Merci à l’entêtement populaire, donc ? C’est l’avis de Duval, qui souligne l’importance de l’épisode : la Grèce et l’Irlande ont elles aussi obtenu des prêts (de l’Union européenne) à des taux très défavorables. Or, souligne Duval, “ça empêche les Irlandais et les Grecs de réduire leur dette, ça les empêche probablement de la rembourser un jour et ça a comme conséquence de continuer à inquiéter tout le monde, et à juste titre, sur l’avenir de l’Europe. C’est une question qu’il va falloir régler”.
Daniel s’interroge : l’exemple islandais est-il transposable, les Grecs et les Irlandais peuvent-ils facilement exiger de renégocier les prêts ? Lipietz ne le pense pas. La Grèce et l’Irlande ont obtenu des prêts suite à des accords officiels avec l’UE, alors que la Grande-Bretagne et les Pays-Bas avaient décidé unilatéralement que l’Islande devait les rembourser, sans qu’on sache bien s’il existait des bases légales… “Une manifestation qui dit : “Je ne paye pas” à des créanciers qui n’ont pas de titres… on finit par transiger”, résume-t-il. Et ne ratez surtout pas comment, dans le feu de la démonstration, il raconte ses échanges avec son “ancien collègue de bureau” Dominique Strauss-Kahn. (acte 4)
Dernier point largement mis en avant dans les message vantant l’activité politique islandaise : l’écriture d’une nouvelle Constitution. En novembre 2010, les Islandais ont choisi 25 simples citoyens pour remettre à plat leur texte fondamental. Mais Michel Sallé risque de “décevoir”, puisqu’il précise que, pour l’heure, le processus a été stoppé par la Cour suprême, qui a détecté des irrégularités dans le vote. Et d’autre part, souligne-t-il, “cette idée de Constituante est née dans le cerveau du président du parti du progrès, le parti de droite, hyper démagogue, qui a voulu saisir la voix du peuple, en espérant en faire son fromage électoral”…
Reste encore à évoquer l’Initiative islandaise pour la modernisation des médias, texte voté en juin par le Parlement pour affirmer que le pays devient un refuge pour les journalistes et la liberté de la presse. Mais alors que Lipietz y voit une “sorte de synthèse entre le récent passé ultralibéral de l’île et son vieux fond démocrate protestant”, Sallé, lui, y perçoit surtout l’envie des Islandais “de faire parler d’eux”.
À noter :
Pour plus de détails sur mon argumentation à propos de la dette islandaise, voir :“Les Islandais ne doivent pas payer”